LA DÉFORESTATION ESTRIENNE INVERSÉE
Le phénomène de déforestation est présent sur les continents africain, d’Océanie, d’Amérique centrale et d’Amérique du sud. Les continents du nord dont l’Amérique, l’Europe et une partie de l’Eurasie ont des superficies forestières stables ou en croissance.
Changements nets des superficies agricoles et forestières par pays entre 2000-2010.
« Forêts et Agriculture : défis et possibilités concernant l’utilisation des terres » (FAO 2016, p. 18-19)
Une perception populaire est que la déforestation touche l’Estrie. L’histoire récente nous aide à mieux comprendre les événements qui ont façonné notre paysage et notre environnement. L’Estrie et son voisin du sud, le Vermont, ont connu une forte activité de déforestation engendrée par l’activité humaine. La forêt a été coupée, la terre cultivée et la forêt a ensuite repris ses droits.
Le Vermont
Au 19e siècle le Vermont a connu une très forte croissance de l’industrie de la potasse, accélérant la coupe de forêts, et de celle de la production de laine mérinos provoquant la conversion de forêts en pâturage.
Le secteur forestier était à cette époque des plus prospères, le port de Burlington était le troisième port exportateur de bois aux États-Unis. Le boom du développement de l’élevage au 19e siècle a abaissé la couverture forestière entre 25 à 30% du territoire.
Photo courtoisie de la famille Harwood, Vermont
Ils ont connu durant cette période les conséquences de cette déforestation, soit des inondations et des problèmes importants d’érosion. En 1830, le Vermont a connu la pire inondation du 19e siècle, qu’ils ont surnommé le ‘Torrent’.
L’industrie de la laine s’est effondrée à la fin des années 1840.
Les vallons autrefois en pâturage sont tranquillement revenus en forêts. Les forêts de première venue étaient majoritairement composées de pins blancs. Elles ont été coupées pour leur bois et en ont suivi les forêts de deuxième venue majoritairement composées de bois franc (15% des arbres au Vermont sont des érables).
Les forêts du Vermont couvrent aujourd’hui 78 % de la superficie de l’état. La superficie forestière a triplé en quelques 175 années.
Paysage du ‘Long trail’ au Vermont – Courtoisie de Robert Hanson, Woodstock, VT
L’Estrie
L’activité agricole en Estrie a atteint son apogée au cours des années 1940. La colonisation a débuté au début des années 1800 et le développement de l’agriculture et les autres changements de vocation du territoire ont conduit à une perte graduelle de la couverture forestière.
Ce développement a conduit à une couverture forestière estimée à 45-50% du territoire dans les années 1940. À partir de cette période, il a eu un déclin du nombre de fermes qui s’est accéléré dans les années ’60. L’abandon des fermes a résulté dans la reprise des terrains abandonnés par la forêt. L’important programme de reboisement des années ’80-90 a accéléré cette reconversion.
Les forêts de l’Estrie occupent aujourd’hui 77% du territoire. Il s’agit d’une augmentation de 50% de la couverture forestière en région, acquise sur une période de 75 années.
St-Malo – photo Ken Dubé
En se promenant en forêt, il est courant d’observer sur les lignes de propriété des vieilles clôtures piquantes, jadis utilisés pour le pâturage des animaux, ou des amoncellements de roches issus du labour des champs maintenant longtemps disparus.
La composition des peuplements forestiers est aussi un indicateur de cette vocation agricole disparue. Les peuplements renfermant les peupliers, le bouleau gris ou des pommiers sous la couverture des arbres dominants sont des signes de l’utilisation agricole disparue du même site.
La vocation des sols est aujourd’hui plus optimale, de grandes superficies moins propices à l’agriculture et qui ont forgé plus d’une génération au dur labeur de la terre ont repris leurs droits forestiers. L’agriculture s’est concentrée sur les terres les plus propices.
Les nouvelles superficies forestières sont dans une phase d’évolution, du stade de forêt pionnière elles transitent vers des stades de forêts plus représentatives des écosystèmes naturels. L’Estrie suit dans les stades d’évolution de ses forêts pionnières ce que le Vermont a connu 100 années auparavant.
Au Vermont, l’agriculture abandonnée il y a plus de 170 années a évolué vers des forêts de feuillus durs qui couvrent un vaste pan de leur territoire.
Les stades de développement des forêts estriennes, issues de friches, connaissent un processus d’évolution similaire à ceux du Vermont, un siècle plus tard !
Ken Dubé ing.f.