FRANÇOIS MARTEL, UN CONSEILLER AU SERVICE DES PROPRIÉTAIRES FORESTIERS
Depuis une trentaine d’années, l’ingénieur forestier François Martel rencontre les propriétaires forestiers de l’Estrie, de la Montérégie, de Chaudière-Appalaches, de la Capitale-Nationale et de toute la partie au sud du fleuve Saint-Laurent. En quoi consiste son travail? Il conseille, renseigne et soutient les propriétaires, les producteurs et les entrepreneurs forestiers dans la gestion, la conservation, l’aménagement et l’exploitation de leur boisé ou du boisé d’un client. Il a bien voulu répondre à nos questions.
Comment trouvez-vous vos clients?
L’avantage d’avoir plusieurs années d’expérience et le fait d’être connu dans la région font en sorte que j’ai peu de démarchage à faire désormais. Ce sont les propriétaires qui me trouvent soit par du bouche à oreille, par FB ou en faisant des recherches sur le Web. Comme il a suffisamment de gens qui me contactent, je n’ai pas vraiment besoin de faire de promotion pour garnir ma clientèle. Pour un conseiller indépendant qui débute, oui, il faut tout de même développer son côté entrepreneurial, se faire voir et faire du marketing pour aller développer sa clientèle.
Combien coûte une rencontre avec un conseiller forestier?
Le premier contact se fait souvent au téléphone de façon gratuite. La plupart du temps, s’en suit un plan d’aménagement forestier qui coûte au propriétaire un peu moins de 1 000 $. Le plan est subventionné en grande partie par le crédit de remboursement de taxes foncières. Ensuite, c’est un taux horaire de 85 $. Étonnamment, certains clients ne veulent pas entendre parler des programmes de remboursement. C’est dommage parce qu’ils ne profitent pas des avantages fiscaux.
Quel est l’avantage d’avoir un plan d’aménagement forestier?
Ça permet au propriétaire de devenir producteur forestier au sens de la loi du gouvernement du Québec. Ça donne accès à deux programmes d’aide financière : le Programme d’aide à la mise en valeur des forêts privées et le Programme de remboursement de taxes foncières.
Le plan d’aménagement dresse un portrait des essences sur le boisé et permet de vérifier si les objectifs sont réalistes et possibles en lien avec ceux fixés au départ. Les propriétaires plus aguerris qui souhaitent faire de l’aménagement forestier m’appellent pour avoir des conseils sur des travaux. Au bout du compte, les propriétaires en viennent à mieux connaître leur boisé et s’en intéressent davantage.
En 1990, les propriétaires n’avaient pas besoin d’ingénieur forestier. J’étais d’ailleurs un peu découragé de cela. On ne demandait pas d’avoir un plan d’aménagement forestier. Il n’y avait pas non plus de règlements municipaux. Tu achetais un lot, tu le coupais à blanc n’importe comment, et tu faisais les sentiers de débardage près d’un ruisseau parce que c’était le point le plus bas. C’était ainsi que ça fonctionnait, mais quand on a commencé à entendre parler d’environnement et de conservation vers les années 1995, plusieurs choses ont changé progressivement. Des réglementations sont arrivées, on demandait un permis et un plan de gestion. Puis, s’en sont suivies des prescriptions sylvicoles et enfin, l’ingénieur forestier est devenu un professionnel incontournable vers les années 2000, car c’est une profession avec des services protégés. Avant toute chose, nous sommes là pour aider les propriétaires à atteindre leurs objectifs.
Est-ce qu’un propriétaire peut arriver à avoir une forêt en santé et à développer son plein potentiel sans avoir de plan d’aménagement?
Oui, c’est possible si des connaissances nous ont été transmises par un membre de notre famille ou par un ami, ou encore, si on travaille dans le domaine forestier ou qu’on est autodidacte. Il y a tellement de documents maintenant sur le Web qu’avec des recherches et des expériences sur le terrain, on peut arriver à bien se débrouiller. Aussi, les propriétaires les plus actifs et curieux ou ceux qui bûchent et qui font des travaux sur leur boisé développent un sens de la forêt qui est impressionnant.
À la première discussion, que viennent chercher les propriétaires comme renseignements ou comme services?
Il y a de tout. Ça peut être une personne qui vient d’acheter un terrain et qui a besoin d’un plan d’aménagement forestier. D’autres personnes ont besoin d’être guidées et conseillées sur un futur achat. Certains souhaitent que je gère leur boisé de A à Z. Ça peut être aussi un entrepreneur qui a besoin d’un permis municipal pour un contrat de coupe.
Que leur dites-vous à cette première rencontre?
D’abord, je demande au propriétaire ce qu’il souhaite faire avec son terrain et dans quel délai. Je lui dis la vérité sur l’état de son terrain. Moi, je vends des services forestiers. Je demeure impartial, c’est important que le propriétaire le voie. Je laisse le propriétaire décider de ce qu’il va faire de son boisé. Je ne mets jamais de pression même si en ce moment, la demande du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) est grande quant à la mobilisation des bois. Le bois de la forêt publique ne suffit plus. Le gouvernement a besoin du bois de la forêt privée pour subvenir aux besoins de l’industrie.
Quelles sont les demandes ou objectifs les plus souvent vus lors de ces rencontres?
Pour les propriétaires qui achètent un boisé pour chasser sur leur territoire, ils souhaitent mieux connaître leur forêt. Pour les autres qui sont plus entrepreneurs, ils me demandent de regarder la réglementation municipale et de leur donner des prescriptions qui ne leur donneront pas de problèmes dans le futur. Ils veulent aussi des conseils pour récolter le plus de bois possible.
Arrive-t-il que les objectifs ou demandes ne soient pas réalistes?
Oui, ça peut arriver. Par exemple, des gens veulent avoir des revenus avec leur boisé, mais dans les faits, le potentiel forestier n’est pas là. À l’inverse, certains ne veulent pas toucher à leurs arbres et pourtant, le potentiel est là. Ils ne réalisent pas que dans un avenir rapproché, ils se retrouveront avec plusieurs arbres tombés faute de ne pas avoir été récolés à temps.
Une fois les objectifs énumérés et le plan d’aménagement réalisé, quelles sont les autres étapes ?
Selon ce que j’ai constaté sur le boisé et les objectifs du propriétaire, on procède par étape. Pour certains, il s’agit de faire un chemin. Pour d’autres, ça peut être des travaux sylvicoles, de la récolte ou du reboisement.
Comment convaincre les propriétaires des bienfaits d’aménager leur boisé?
Généralement, ils sont faciles à convaincre, car ils comprennent que des travaux doivent être faits. Cependant, il est important que leur forêt reste belle, qu’elle ne montre pas des traces d’abattage trop importantes. Avec la mécanisation de plus en plus présente, il devient difficile de conserver un aspect naturel.
De plus, en nous côtoyant, les propriétaires acquièrent des connaissances, des trucs et techniques pour bien prendre soin de leur boisé.
Comment arrivez-vous à les mettre en confiance, à leur démontrer que vous êtes un professionnel?
Encore une fois, par mon impartialité, ils voient que je ne suis pas là pour faire de l’argent. Je les écoute, leur donne mon avis, mais au bout du compte, je leur dis que le boisé est à eux, qu’ils ont la décision finale. La confiance s’établit avec le temps, grâce aux conseils donnés, mais cette confiance doit être réciproque entre les deux parties. De plus, notre ordre professionnel nous demande de faire un suivi avec nos clients. Ça assure donc une relation plus soutenue.
En moyenne, le propriétaire forestier vous consulte combien de fois pour le même boisé?
Au moins une fois par année, mais s’il fait des travaux, ça va être plus souvent. Certains me consultent à l’acte, d’autres à l’heure parce qu’ils ont des crédits pour le remboursement de taxes foncières. Pour d’autres, j’évalue si les travaux seront subventionnés selon les budgets alloués.
Chaque année, le gouvernement donne un budget aux agences de mise en valeur des forêts privées, budget qui est ensuite attribué aux différents conseillers forestiers. C’est nous qui gérons ces budgets selon des balises définies. On peut s’en servir pour des travaux d’aménagement avec des volumes de bois récoltés, pour du reboisement ou encore pour tout autre besoin en lien avec un potentiel forestier.
On voit que les propriétaires sont satisfaits parce qu’ils reviennent nous voir pour d’autres travaux. En demeurant actifs et en laissant des traces de leurs actions, les propriétaires peuvent aller chercher le maximum des programmes et des remboursements disponibles et redemander, éventuellement, d’autres sommes d’argent. Ce sont des avantages fiscaux à ne pas négliger. Nous sommes aussi là pour les aider à avoir des revenus forestiers.
Avec les faibles prix offerts pour le bois et l’augmentation des coûts pour effectuer des travaux, est-il possible de rentabiliser notre boisé?
C’est difficile parce que le prix du lot à bois n’a pas nécessairement de lien avec les arbres qui sont dessus, à moins que la récolte soit très importante. Il faut plutôt le voir comme un placement à long terme où le propriétaire touchera un bon montant lors de la revente.
Selon une étude de la Fédération des producteurs forestiers du Québec, on constate que les propriétaires ont un niveau de scolarité plus élevé et qu’ils ont un autre métier principal. Est-ce que c’est ce que vous constatez dans votre région?
Oui, les propriétaires ont un meilleur revenu qu’avant, donc ils sont plus en mesure de dépenser pour faire des travaux et de bien gérer leur forêt.
Avec les nouvelles normes environnementales et municipales, comment arrivez-vous à convaincre les propriétaires de faire des travaux?
Les nouvelles normes sont un défi pour les ingénieurs forestiers, car on doit trouver de nouvelles façons de travailler. On devient donc une aide incontournable pour les propriétaires, car c’est complexe et difficile à comprendre tout cela. Un propriétaire qui ne fait pas affaire avec un conseiller forestier peut se décourager devant la tâche.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut faire l’acquisition d’un boisé?
Avant d’acheter un boisé, la personne doit discuter avec un conseiller forestier. On peut ainsi donner des renseignements sur le lot. On va aussi lui donner une idée des tâches et des suivis à faire sur son boisé. Le propriétaire va donc être mieux renseigné et être en mesure de savoir si ce boisé correspond à ses attentes et à ses rêves.
Josée Lalande