MICHAËL LESSARD, 4E GÉNÉRATION DE FORESTIERS
On aurait tort de sous-estimer l’influence du métier d’un parent sur le choix de carrière d’un enfant. Michaël Lessard l’assume complètement et ne se voit pas dans un autre métier que celui de son père, de son grand-père et de son arrière-grand-père, soit celui de forestier.
Le terme forestier a évolué avec les années. Du temps de son arrière-grand-père, de son grand-père, et pour Hervé, le père de Michaël, on utilisait le terme bûcheron parce que le travail se faisait avec une hache et une scie à chaîne, et qu’on sortait le bois avec des chevaux. Désormais, pour Michaël et son père qui travaillent en partenariat, on utilise davantage les termes « entrepreneur forestier » puisqu’ils sont chacun propriétaire de leur propre entreprise et qu’ils travaillent pour une tierce personne pour qui ils récoltent le bois avec de la machinerie.
Un parcours tracé d’avance
Michaël a grandi entouré de bûcherons et de forêt. « Dès 5 ou 6 ans, je suivais mon père dans le bois dès que je le pouvais. À 17 ans, je conduisais déjà la bûcheuse de mon père. J’en ai fait officiellement mon métier à ce moment-là. J’ai vu le métier de forestier évoluer et les méthodes de récolte se moderniser. »
Il y a deux ans, d’un commun accord avec Michaël, son père a commencé à lui vendre ses équipements et lui céder une partie de ses contrats. Son père avait une abatteuse, un camion, un transporteur et une chargeuse. Michaël a d’abord acheté l’abatteuse, et en 2020, il a acheté le camion. Ils sont tous les deux autonomes et propriétaires d’une partie des équipements de récolte. Ils travaillent ensemble et se complètent dans les travaux.
« Avec ces nouveaux équipements et engagements professionnels, j’ai décidé de m’incorporer en juin 2019 sous le nom Entreprise forestière Bois M.L. inc. Pour le moment, je n’ai qu’un employé, un camionneur. Mon père a aussi un employé sur le transport du bois. Nous sommes donc quatre en tout. Dans quelques années, mon père va me vendre ses derniers équipements pour prendre sa retraite. »
Ses clients
Habitant à Lac-Etchemin et ayant un boisé de 110 acres à Sainte-Justine, c’est pourtant à Mégantic que Michaël passe la majeure partie de son temps pour honorer ses contrats. Depuis 2013, il travaille pour le groupement Aménagement forestier coopératif des Appalaches qui lui donne des contrats en forêt privée. « Comme je travaille à deux heures de route de chez moi, je pars dans la nuit du dimanche à lundi pour débuter ma journée vers 4h30, le lundi. Mes journées se terminent souvent à 18h30. Ça m’éloigne de ma conjointe et de mes enfants, mais avec le nombre d’heures que je fais par jour et la distance qui me sépare de chez moi, je suis plus efficace ainsi. »
Michaël a déjà travaillé en forêt publique, mais il préfère les défis que la forêt privée lui procure et le contact étroit avec les clients. Aussi, en forêt publique, les séjours en forêt sont sur de longues périodes avec de grandes superficies à bûcher. Les horaires sont difficiles, avec plusieurs heures de travail.
En ce moment, les clients fournis par le groupement Aménagement forestier coopératif des Appalaches sont toujours dans la région de Mégantic. Le jeune entrepreneur de 29 ans fait beaucoup de coupe sélective pour le groupement et récolte du bois franc et du résineux. Les clients sont des propriétaires de forêt privée, parfois des agriculteurs qui ont un boisé. « L’avantage de travailler pour un groupement forestier est qu’on n’a pas besoin de trouver les clients. C’est plus facile pour moi, car je n’ai pas besoin de les chercher et mettre beaucoup de temps sur cela. Les devis sont faits, le groupement me dit où aller bûcher et me donne les directives. Ça me permet de me concentrer sur la récolte du bois et non sur la paperasse. Aussi, je m’entends très bien avec Nicolas Fournier. On travaille bien ensemble. C’est important pour moi. »
Un métier d’avenir?
Michaël trouve que ça va bien pour lui présentement. Mieux qu’en 2007- 2008 où sévissait une crise forestière. Son père a même songé à vendre. Il ne pouvait pas acheter de machinerie neuve, la demande de bois était moindre, les revenus maigres.
Michaël entrevoit l’avenir sous de beaux jours. Il a confiance en son métier. Il trouve qu’il y a maintenant de la formation sur le terrain, par exemple avec l’entreprise Forest liaison du Nouveau-Brunswick qui se déplace jusqu’au Québec pour offrir le cours d’opérateur d’abatteuse, mais aussi pour d’autres métiers de la forêt. C’est quelque chose qui n’existait pas quand il a commencé dans le domaine. Par contre, il a encore du mal à recruter de bons opérateurs de machinerie. Parfois parce qu’ils ne sont pas bien formés ou parce qu’ils manquent d’expérience, mais aussi parce que les horaires ne conviennent pas à la famille de ces opérateurs. « Quand tu es parti toute la semaine à l’extérieur, ça fait en sorte que ça peut être difficile pour le couple et les enfants. »
Il trouve aussi que le gouvernement s’implique davantage dans la foresterie. Cependant, les lois sont plus sévères maintenant. Par exemple, les règlements pour les milieux humides et les bandes riveraines leur apportent plus de casse-tête quand vient le temps de récolter. Il n’a pas le choix, il doit s’adapter, et il se dit que ça aussi du bon pour la sauvegarde des forêts.
La mécanisation, mais à quel prix?
Avec les courts délais qu’on demande aux entrepreneurs forestiers, ils n’ont pas le choix d’être de plus en plus mécanisés. La mécanisation leur permet de faire le travail plus rapidement. Par contre, ça apporte un stress supplémentaire qui n’était pas présent à l’époque du bûcheron qui récoltait avec une scie à chaîne et des chevaux. Les bûcherons de cette époque prenaient plus le temps de vivre. Leur horaire de travail était du lundi au jeudi, tandis que pour Michaël, les journées de 14 heures sont choses courantes, cinq jours par semaine, en plus de la mécanique et de la maintenance à faire sur les équipements, le samedi.
« Quand mon grand-père, décédé il y a 5 ans, venait en forêt, il n’en revenait pas de l’évolution des techniques de récole. Qu’une tête de multifonctionnelle puisse opérer avec un ordinateur. Dans son temps, on transportait le bois sous forme de pitounes sur les cours d’eau et on sortait le bois avec les chevaux. »
Michaël pense que le métier de bûcheron, désormais nommé abatteur manuel, va finir par disparaître complètement. Les bons scieurs ont souvent plus de 45 ans. La scie à chaîne va servir plus pour un usage personnel.
Pourquoi travailler autant?
Avec son employeur, Michaël a des objectifs de volume de bois à sortir annuellement. Pour atteindre ces objectifs, il n’a pas le choix de travailler plusieurs heures par jour. L’été, il revient les jeudis plutôt que les vendredis, et il est arrêté tout un mois durant l’année. Il doit atteindre le volume de bois en tenant compte de ces deux facteurs.
La machinerie, les assurances et les dépenses reliées aux travaux de récolte coûtent chères. Travailler autant lui permet de faire les paiements et de vivre raisonnablement. Aussi, pour éviter de toujours dépenser pour maintenir en ordre les équipements, l’entrepreneur de Lac-Etchemin répare lui-même ses choses. « Je ne suis pas allé à l’école longtemps. Je n’ai pas de formation en mécanique, mais dès mon jeune âge, j’allais au garage de mon père après l’école pour le regarder et l’aider à faire les réparations. Autant en foresterie qu’en mécanique, mon professeur a été mon père. C’est lui qui m’a tout appris. Les deux autres frères de mon père sont aussi en foresterie. Ma femme est impliquée dans la comptabilité de ma compagnie, mais son vrai métier est éducatrice spécialisée. Comme vous le voyez, c’est vraiment une histoire de famille! »
Toujours demeurer compétitifs
Pour atteindre les volumes de bois demandés, la machinerie fonctionne plusieurs heures par jour. Ce qui entraîne une usure rapide des équipements. Le jeune entrepreneur doit alors changer ses équipements tous les quatre ou cinq ans. Sinon, il se retrouve avec de la machinerie moins performante, plus susceptible d’être brisée.
C’est pour cette raison qu’en novembre 2019, il a acheté une multifonctionnelle neuve pour 700 000$. Il a revendu celle de son père qui avait été achetée en 2010. En foresterie, Michaël explique que pour ne pas perdre de temps, ça prend des équipements neufs et fonctionnels. Une machine brisée ne rapporte pas de revenus, mais les dépenses et les salaires demeurent. La durée de vie d’une mutli est d’environ 20 ans, mais on devra alors remplacer le moteur et la pompe. « Après 10 000 à 15 000 heures d’utilisation, le meilleur est sorti de la machine. Il y en a certains entrepreneurs qui vont utiliser leur multi pour 40 000 à 50 000 heures, mais ils vont sortir moins de voyages, car la machine n’est plus aussi efficace et les réparations sont plus fréquentes. Il y a aussi des problèmes électroniques qui rendent les réparations complexes. »
Michaël a toujours vu son père foncer. Encore à 56 ans, c’est un homme de défis, passionné par son métier, toujours positif, un homme qui ne lésine pas sur l’importance d’avoir de l’équipement performant. C’est la même chose pour Michaël. Il adore ce qu’il fait, il veut de l’équipement au goût du jour pour demeurer compétitif.
« J’aime beaucoup la forêt. Sur ma terre à Sainte-Justine, j’ai une érablière de 2 000 entailles où je passe du temps avec mon père, ma conjointe et mes enfants. On a des rencontres de famille. On a une cabane neuve, une bouilleuse. Tout comme je l’ai fait avec mon père, j’aimerais que mon garçon suive mes traces. »
On lui souhaite une 5e génération de forestier.
Josie Lande, collaboration spéciale