Cibles élevées, nouveaux défis

CIBLES ÉLEVÉS, NOUVEAUX DÉFIS

 

Mobilisation des bois en Estrie 2018-2023

La petite forêt privée en Estrie couvre un peu plus de 600 000 ha, appartenant à quelque 9 200 propriétaires aux valeurs forestières pas nécessairement convergentes, ces valeurs oscillant entre la « cloche de verre » (conservation intégrale) et des options d’aménagement axées sur la croissance et la récolte d’un maximum de produits ligneux.  Théoriquement, cette petite forêt privée supporte une possibilité de récolte annuelle de 1 800 000 m3s, ce qui revient à un hypothétique trois m3s / ha.  Mais considérant que seulement 40% des propriétaires sont reconnus comme producteurs forestiers, c’est-à-dire disposant d’un plan d’aménagement forestier enregistré, un peu plus de 216 000 ha (36%) sont, en principe, sous régime d’aménagement.  Cependant, le compte exact des terres forestières privées aménagées ou non sur lesquelles il y a récolte de produits ligneux est imprécis puisqu’à l’initiative du propriétaire le ou les chantiers commerciaux sont à l’enseigne d’un conseiller forestier (groupement forestier ou conseiller indépendant), d’un travail personnel ou d’un… jobber.

La forêt de l’Estrie vue du parc du Mont Mégantic

Pour leur part, nous pouvons assumer que la majorité des grands propriétaires (800 ha et plus d’un seul tenant), sur leurs terres forestières dépassant les 120 000 ha, et vu l’importance de la capitalisation foncière, optent pour une récolte proche de leur possibilité forestière.  S’ajoutent à ces chiffres les 37 500 ha de forêts publiques (UA051-51) sous régime d’aménagement forestier offrant une possibilité de 70 000 m3s.

La forêt estrienne, un enjeu stratégique régional?

Pour une région couverte à plus de 75% de forêts et dont la trame industrielle et historique repose pour une bonne part sur la transformation du bois, il appert que la forêt estrienne – sa valeur écologique comme ses apports économiques – n’est pas, à l’évidence, l’objet de grands enjeux stratégiques régionaux, pas plus qu’elle ne garnit le discours politique.  Certes une littérature spécialisée, surtout consultée par les adeptes des multiples aspects et mérites du couvert forestier, offre un panorama varié des composantes et des usages de cette ressource naturelle.  Mais, à moins d’un cas très exceptionnel de préjudice aux arbres (maladie, infestation majeure, coupe considérée abusive), la forêt a très peu d’espace dans les médias généralistes.

En clair, la population estrienne a peu de référents pour lui rappeler que les forêts qui constituent le gros de l’espace régional pourraient contribuer à forger une relation identitaire avec une ressource naturelle qui a bien servi le développement économique des Cantons-de-l’Est au 19e siècle et dans la première moitié du 20e.  L’Estrie, c’est une histoire progressive d’occupation du territoire et d’exploitation d’un couvert forestier que l’on imaginait au potentiel sans fin.  Constat : la population de l’Estrie, de plus en plus urbanisée, n’est guère consciente qu’elle vit dans un environnement forestier… qui lui confère une qualité paysagère exceptionnelle, protège le régime hydrique, contribue à la qualité de l’air, offre une large gamme d’activités de plein air et constitue l’assise d’une activité industrielle diversifiée créatrice d’emplois et rompue à l’usage des récentes technologies.

Tout le territoire est sans conteste occupé, mais la forêt, l’actuelle, nécessite une nouvelle approche pour la redéfinir en fonction des contingences et impératifs sociaux, culturels, environnementaux et politiques des temps présents et prochains.  Si certains avancent une foresterie 4.0 en aménagement, en récolte et en transformation des bois, d’autres font état d’« écosystèmes forestiers 4.0 » aux plans de la propriété, des valeurs des propriétaires, de bien-être collectif et d’enjeux climatiques planétaires.  Vaste débat… qui dérange les idées reçues, bouscule les conventions, met à contribution des talents nouveaux et suppose une ouverture d’esprit, somme toute qui pourrait amener un leadership audacieux.

La forêt estrienne mérite plus d’empathie et de visibilité

Alors, comment atteindre des cibles de récoltes conformes aux attentes de la « Mobilisation des bois » version MFFP quand 1) la récolte de bois commerciaux est une valeur secondaire du propriétaire forestier… vieillissant (réf. : Profil 2012 du propriétaire forestier, FPFQ), 2) que les modes d’aménagement et de récoltes ont connu depuis une bonne quarantaine d’années des mutations et des transformations qui limitent la valeur nette du bois après récolte, mais améliore la productivité du boisé, 3) que de nouvelles lois et règlementations, sans doute justifiées dans leur esprit, ajoutent des exigences aux procédés de récolte, 4) que l’emploi forestier connaît une attractivité en baisse, 5) que le « discours environnementaliste », pour cause d’attrait médiatique, fait ombrage aux compétences forestières, et 6) que trop peu de propriétaires forestiers sont réellement bien informés des avantages de l’aménagement de leur(s) boisé(s)… selon leurs valeurs.  À chacun ses critiques et ses idées là-dessus.

Pour certains le cynisme ou l’incrédulité, voire des relents passéistes, sur l’exploitation des forêts sont de mise.  Pour d’autres, bien conscients que l’avenir appartient à la « croissance verte », voire à l’« intelligence 4.0 », leur capacité d’anticiper des changements aussi rapides que constants – donc des visionnaires – amènera le secteur forestier estrien dans les paramètres de premier plan de la croissance économique régionale.  Cet accomplissement, cette réussite, passe entre autres par les premières lignes de l’aménagement durable : les propriétaires, les conseillers forestiers, les entrepreneurs et les organismes de mise en marché, tous concertés dans une vision aux dénominateurs communs.  Et une population régionale qui fait sienne la qualité et la durabilité des forêts comme condition obligée de son bien-être collectif.

Monts Stoke et le village de Ascot corner

Performance, cible ambitieuse et appropriation collective

Ce réquisitoire, à mon opinion, trace à grands traits le contexte des prochaines cibles à la mobilisation des bois en Estrie.  Si la cible 2018 de 858 000 m3s est atteinte, cela représentera une augmentation – disons une performance en trois ans – de 37% par rapport à 2015 (625 400 m3s).  Comparés à la possibilité annuelle en petite forêt privée (1 800 000 m3s) ces résultats correspondent, après entre autres ajustements pour prise en compte de la récolte de bois de chauffage et de bois à usage domestique (+/- 200 000 m3s), à 42%/2015, 49%/2016 et 49%/2017; la cible 2018 serait de 53%.  Nous sommes donc loin d’une hypothèse, établie régionalement, dépassant les 60% en 2020.

Reconnaissons que les budgets, plutôt substantiels (annoncés en mars 2018), complémentaires au PAMVFP, constitueront un levier de première importance au « recrutement des bois », mais doivent impérativement être couplés à une stratégie concertée de tous les acteurs de la forêt et une appropriation collective par la filière politique et la population.

Au global, la forêt privée estrienne présente une possibilité forestière substantielle.  À l’instar de forêt privée du Québec, la demande pour ses produits ligneux est forte, mais l’offre par ses propriétaires doit être davantage motivée.  Bientôt l’affaire d’une toute nouvelle génération de propriétaires, la promotion de la forêt privée est-elle à revoir?

Jean-Paul Gendron, président

AMFE

Remerciements

Je tiens à exprimer ma vive reconnaissance à l’équipe de l’Agence qui m’encadre, me surveille et m’« éduque » afin que je puisse agir adéquatement en fonction de notre mission.  Des remerciements aussi aux groupements forestiers, au SPFSQ et à la direction Estrie du MFFP avec lesquels j’entretiens des relations informelles fort utiles à la compréhension des techniques forestières.  Et remerciement spéciaux aux membres du conseil d’administration qui par leur vigilence sur les affaires corporatives de l’Agence et leur sens critique contribuent à un historique forestier estrien en constante évolution.

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